L’acier, parent pauvre de la souveraineté ?
A l’heure de la crise sanitaire, se rouvre le débat sur la souveraineté économique et industrielle. Si celle-ci est primordiale en matière de défense et, on le sait maintenant, de santé, elle ne l’est pas moins en matière de sidérurgie. La production d’acier en France et en Europe est en effet l’un des gages de notre indépendance stratégique.
Or voici qu’elle se trouve plus menacée que jamais par des flux d’importations massifs en provenance de pays extra-européens, à la production bon marché et peu regardante en matière de standards environnementaux.
Cette situation n’est certes pas nouvelle. Mais comme dans bien des domaines, la crise du Covid-19 joue le rôle, souvent cruel, d’accélérateur de tendances. Depuis fin mars, face à l’effondrement de la demande de ses principaux clients, la production européenne d’acier a chuté d’environ 50 % et pourrait rester durablement basse.
Dans le même temps, l’Europe fait face à des importations massives d’acier. Les usines sidérurgiques en Chine, en Inde, en Russie ou encore en Turquie n’ont pas subi le même impact que l’industrie européenne : ces pays, mais aussi les Etats-Unis, ont en effet pris des mesures protectionnistes pour soutenir leurs industries, souvent depuis plusieurs années.
Dans ce contexte, il est plus urgent que jamais de rétablir des conditions de concurrence loyale en Europe pour éviter de fragiliser encore davantage l’acier européen.
Nous en appelons à la prise de conscience des décideurs publics locaux, régionaux, nationaux et européens. La Commission européenne et les Etats membres ont dans leurs mains un levier puissant, capable de rétablir cette concurrence équitable : les mesures de sauvegarde. Ces quotas d’importations ont été mis en place par l’Union européenne dès 2018, mais, inadaptés, ils se sont révélés inefficaces. Ils doivent aujourd’hui être profondément révisés et puissamment renforcés.
A l’heure où la Commission européenne finalise sa proposition de révision de ce dispositif, il est urgent de prendre conscience du caractère essentiel de l’industrie sidérurgique française et européenne.
Notre industrie fournit des solutions pour demain, de la réduction des émissions de CO2 au développement de la mobilité électrique. Maillon clé de nombreuses chaînes de valeur industrielles, la production d’acier n’a pas à être « relocalisée » : elle est déjà localisée en France et en Europe, où elle emploie des dizaines de milliers de salariés et d’où elle sert ses clients dans l’automobile, l’emballage, la construction, l’électroménager…
Alors que nous parlons de maîtrise des chaînes de valeur et d’indépendance stratégique, il est urgent de prendre conscience que nous avons un actif essentiel dans nos mains : la faculté de produire notre propre acier en France et en Europe. En renforçant les mesures de sauvegarde, l’Union européenne doit rétablir une concurrence loyale et préserver cet atout stratégique essentiel.
Philippe Darmayan
Président d’ArcelorMittal France